Adieu ED KING

J’ai appris la mauvaise nouvelle pratiquement en direct et ça m’a refilé un sale coup au moral. Le 22 août 2018, Ed King est décédé des suites d’un cancer du poumon à l’âge de soixante huit ans. Au moins, il est mort chez lui à Nashville, et pas à l’hôpital. Toujours ça de pris ! On se console comme on peut.

Il était passé sur le billard à la fin du mois d’avril mais il affichait un bon moral et une joie de vivre débordante sur sa page de réseau social. Il continuait à parler musique et guitares. Il semblait reparti du bon pied mais la mort en a décidé autrement.

Je ne vais pas m’étendre sur la biographie de cet immense guitariste. Tous les gens concernés la connaissent et en plus, je n’ai pas la pêche pour ça. Débiter toute une chronologie de faits et d’anecdotes ne lui rendra pas justice.

Pour un hommage digne de ce nom, il vaut mieux parler de son style subtil à la finesse extrême. Il est préférable de vanter son jeu brillant fait de tirés de cordes délicats, d’allers-retours rapides, de stacattos énergiques et de glissandos harmonieux au bottleneck.

Il faut également détailler sa participation majeure au sein du groupe légendaire Lynyrd Skynyrd.

Tout d’abord, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Bien qu’il ait toujours affirmé le contraire, Ed King était un virtuose de la guitare slide. Ses influences majeures venaient de Duane Allman et de Ry Cooder et, même s’il s’en défendait, il les égalait sans problème. Il n’y a qu’à écouter son solo de slide sur « The ballad of Curtis Loew » pour en être convaincu.

Quant à son jeu dit « classique » (sans bottleneck), il mélangeait des phrasés country à des riffs de rock et de blues avec un talent certain. Ses solos ne faisaient pas « collage » mais résultaient d’une grande musicalité et d’une superbe inspiration.

Ensuite, on peut affirmer sans exagérer que sa participation à Lynyrd Skynyrd a été décisive et a contribué au succès du gang de Jacksonville.

Il n’a pas composé énormément sur les trois premiers albums du groupe mais il a quand même cosigné des titres importants. Le méconnu « Poison whisky », le poignant « I need you », « Swamp music », « Whiskey rock n’ roller », « Railroad song » et le sulfureux « Saturday night special ». Et bien entendu, le planétaire « Sweet home Alabama » avec son intro intemporelle qui, selon lui, ne pouvait être jouée que sur une Stratocaster.

Ed King disait souvent qu’à ses débuts, il détestait les guitares Fender en raison de leur son trop cristallin. Il leur préférait les Gibson (SG ou Les Paul) au grain beaucoup plus épais. Il avait choisi de jouer sur une Stratocaster pour se différencier des sonorités de Gary Rossington et d’Allen Collins.

Oui, pour toujours, Ed demeurera « Mister Sweet Home Alabama ». Celui qui a entendu en rêve les deux solos d’anthologie de cette chanson universellement connue, élément essentiel du succès de Lynyrd Skynyrd.

Ed avait tout de suite vu l’énorme potentiel de Ronnie Van Zant et de ses potes. Il s’était totalement immergé dans leur univers musical. Les chevelus de Jacksonville se chargeaient de la folie et de la rugosité. Ed amenait la finesse. Malheureusement, il ne se sentait pas très à l’aise dans le groupe et n’appréciait vraiment pas leurs bagarres internes. Déjà, il n’était pas un sudiste pur jus (il venait de Californie du Sud) et n’avait pas la même mentalité que ses collègues. Il était là pour jouer de la musique et pas pour se battre au moindre désaccord ou pour se prendre une bouteille sur le crâne.

Finalement, il en a eu marre. Un beau jour, à la veille d’un concert, son technicien (qui s’occupait de ses six-cordes) et Ronnie Van Zant se sont retrouvés en taule. Ils en sont sortis juste à temps pour se pointer cinq minutes avant le show. Le technicien n’a pas eu le temps de changer les cordes des guitares et Ed en a cassé deux pendant le solo de « Free bird ». Dans la voiture qui les ramenait à l’hôtel, Ronnie s’en est pris à lui méchamment en lui disant qu’il valait encore moins qu’un bouton sur le cul d’Allen Collins et en tentant d’amorcer une baston.

Là, la coupe était pleine ! Ed a bouclé sa valise et s’est barré pour de bon.

Il a souvent affirmé qu’il serait revenu si Ronnie l’avait rappelé mais ce dernier ne l’a pas fait (peut-être sous l’influence de Peter Rudge).

Légèrement dégoûté, Ed a pris ses distances avec le monde de la musique et entamé une retraite anticipée (il a toujours affirmé que « Sweet home Alabama » avait payé son loyer pendant une trentaine d’années). Cela ne l’a pas empêché de se rendre au chevet de ses anciens compagnons hospitalisés en octobre 1977.

Mais la musique n’en avait pas fini avec lui.

En 1987, Gary Rossington lui demande de se joindre au Tribute Tour. Rien de plus normal que de rallier un excellent musicien qui a joué sur les trois premiers disques du combo.

Le succès est au rendez-vous et quand Lynyrd Skynyrd redevient une formation à part entière, Ed fait naturellement partie de l’aventure. Il participe beaucoup plus à la composition : huit morceaux sur onze pour l’album « 1991 » et six titres sur dix pour « The last rebel ». Au total, il apparaît sur cinq disques (« Live by the grace of god », « 1991 », « The last rebel », « Endangered species » et le live « Southern knights »).

Et là, une question se pose : la renaissance de Lynyrd Skynyrd aurait-elle eu le même impact sans Ed King ? Pas sûr du tout ! On note d’ailleurs une sensible baisse d’inspiration du groupe après son départ et malgré l’arrivée de Hughie Thomasson (qui s’était rendu chez Ed pour bosser ses plans de guitare avec lui).

Sans exagérer, on peut donc affirmer que le concours d’Ed King a été déterminant dans le retour de Lynyrd Skynyrd. Comme à l’époque des débuts, il a apporté finesse et subtilité (les deux premiers albums du « nouveau » Lynyrd étant d’ailleurs considérés comme les meilleurs de cette période).

Mais, encore une fois, cela ne devait pas durer. La mésentente larvée qui règne au sein de Lynyrd Skynyrd se développe (on a assisté à une bousculade entre Ed et Gary Rossington sur la scène de l’Élysée Montmartre à Paris le 27 février 1992). En 1995, des problèmes de santé forcent Ed à se retirer quelques mois. à son retour, on lui annonce que l’on n’a plus besoin de lui. Entre Ed King et Lynyrd Skynyrd, c’est la deuxième rupture. Définitive, cette fois.

Les deux décennies suivantes, Ed continuera de jouer épisodiquement.

Il participera à quelques projets de courte durée : le Bonnie Blue Band avec Jeff Carlisi de 38 Special et le chanteur Jimmy Hall, le Saturday Night Band d’Artimus Pyle. Il interviendra sur pas mal de titres de « Brave new south », le groupe de son pote Mike Estes (le troisième gratteux de Lynyrd et le copain d’Allen Collins). Il sera invité par Henry Paul sur la chanson « Brothers of the southland » de Black Hawk et sur un morceau de « Here for a good time », le dernier disque en date de Skinny Molly. Il honorera de sa présence des conventions de guitares et des salons professionnels.

Côté santé, il subira une transplantation cardiaque et continuera à profiter de la vie jusqu’en avril 2018 où on lui enlèvera un tiers de son poumon droit. Il perdra malheureusement sa lutte contre la maladie.

Dès l’annonce de sa mort, des quantités de messages de condoléances ont afflué sur un réseau social bien connu. Pas mal d’artistes ont témoigné leur sympathie comme Mike Estes, Jeff Carlisi ou James Burton (le glorieux guitariste d’Elvis qui a écrit qu’il ne pouvait pas y croire). Gary Rossington a glissé un mot sur la page de Lynyrd Skynyrd.

Même sur nos moteurs de recherche internet nationaux, on a vu quelques articles plus ou moins longs consacrés au décès d’Ed King et rédigés en français. Ce qui prouve bien sa notoriété dans le monde de la musique.

Mourir à soixante huit ans en échange d’un destin hors du commun ? Après tout, pourquoi pas ? Ce musicien génial gardera une place spéciale dans le cœur du public et son nom sera toujours associé à une chanson éternelle.

La destinée, Ed y croyait fortement. Il avait senti son frôlement quand il s’était rendu un jour sur la tombe de Ronnie Van Zant. Steve Gaines était enterré juste à côté et Ed avait vu la date de naissance du guitariste sur la pierre tombale. La même que la sienne ! Il y avait toujours vu un signe de la providence.

Ed King voulait jouer de la guitare et il l’a fait toute sa vie. Il voulait profiter de l’existence et il ne s’en est pas privé. Il a quitté ce monde chez lui, entouré de sa femme et de ses chiens. Ce n’est pas donné à tout le monde. Il est parti vers des cieux toujours bleus en nous laissant un fameux héritage… et de la grisaille dans nos cœurs.

Sweet home Alabama

Where the skies are so blue

Olivier Aubry (article pour RTJ octobre 2018)

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